Un gène issu d'un rétrovirus est à l'origine de la capacité des Gnathostomes à former des gaines de myéline

 Thème : évolution, génétique, virus, système nerveux

La gaine de myéline qui enoure les axones permet de transmettre les influx nerveux par une conduction saltatoire et donc rapide, même sur de longues distances. La myéline et les gènes critiques pour la myélinisation, tel que le gène codant la protéine MBP (pour Myelin Basic Protein), sont probablement apparus chez l'ancêtre commun des Gnathostomes ou Vertébrés à mâchoires : les gaines de myéline sont en effet présentes dans l'ensemble de ce groupe mais pas chez les Agnathes tels que la myxine et la lamproie. Pour eux, pour les Chordés non vertébrés et pour les Protostomiens, une conduction plus rapide de l'influx nerveux ne peut se faire que par une augmentation du diamètre de l'axone (d'où l'axone géant de calmar) mais elle a ses limites. Chez ces organismes, des cellules gliales entourent les axones, ce qui isolent les axones les uns des autres dans les faisceaux et évitent les "fuites de courant" mais une gaine de myéline compacte permettant la conduction saltatoire est bien un caractère dérivé partagé exclusif des Gnathostomes.

Malgré les avantages fonctionnels significatifs associés à la myélinisation, l'origine génétique de l'apparition de cette propriété fondamentale dans l'évolution des vertébrés restait inexpliquée. Des chercheurs de l'Université de Cambridge au Royaume-Uni ont montré dans un récent article de Cell qu'un gène issu évolutivement d'un rétrovirus code une ARN indispensable pour la formation des gaines de myéline dans le système nerveux central par les oligodendrocytes.

Ce gène appelé RNLTR12-int (que les auteurs ont rebaptisé RetroMyelin) code un ARN non traduit qui s'associe avec le facteur de transcription SOX10 et cette interaction est nécessaire pour que SOX10 puisse activer l'expression de MBP, une protéine cruciale pour la formation des gaines de myéline. Retromyelin est présent chez tous les Gnathostomes et n'est pas présent chez les Agnathes ou d'autres Cordés (et il est absent également chez les Protostomiens).

Des précurseurs d'oligodendrocytes de rat sont cultivés in vitro dans un milieu qui stimule leur différenciation. En présence d'un siARN (ARN interférent) contrôle, ils se différencient en exprimant OLIG2 (immunofluorescence verte) et MBP (qui permet de produire des gaines de myéline) (immunofluorescence rouge). En présence d'un siARN aboutissant à la dégradation de l'ARN RNLTR12-int (ou Retromyelin), OLIG2 est bien exprimé mais pas MBP, suggérant que les oligodendrocytes survivent et se différencient mais incomplètement et qu'ils sont incapables de produire des gaines de myéline. Source : https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(24)00013-8

RNLTR12-int ou Retromyelin agit par l'intermédiaire d'un ARN non traduit qui s'associe au facteur de transcription SOX10 ce que le rend capable de se fixer sur le promoteur du gène codant MBP et d'activer sa transcription. Source : https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(24)00013-8

L'origine rétrovirale du gène codant Retromyelin est signée par les séquences flanquantes du gène qui sont très similaires aux séquences des rétrotransposons, des éléments mobiles du génome d'origine rétrovirale. Au fur et à mesure du temps, les séquences des retrovirus qui s'insèrent dans le génome accumulent des mutations et finissent par se déplacer dans le génome (en produisant un ARN puis par rétrotranscription un ADN qui s'intègre dans le génome) sans produire de particules virales (phase rétrotransposon mobile). Puis de nouvelles mutations aboutissent à leur sédentarisation. Des chercheurs avaient déjà découvert que des gènes nécessaires à la formation du placenta ont évolué de cette manière.

L'analyse poussée de la distribution des séquences Retromyelin dans le génome de 22 Gnasthostomes suggère que la dernière phase de sédentarisation s'est passée indépendamment dans différents phyla et non pas chez l'ancêtre commun des Gnasthostomes comme on pourrait le croire en appliquant le principe de parcimonie. Il s'agirait donc d'une convergence évolutive dans les différents grands groupes de Gnasthostomes.

Cette étude n'a cependant pas répondu à un certain nombre de question : on ne sait pas si Retromyelin joue un rôle dans la formation des gaines de myéline du système nerveux périphérique où elles sont produites par les cellules de Schwann et non par les oligodendrocytes. Et ensuite, reste à connaître l'origine du gène codant MBP qui n'est présent que chez les Gnasthostomes. On a ici découvert l'origine évolutive de l'activation de son expression mais lui-même reste pour l'instant un mystère.

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