Une même Reine fourmi peut produire des descendants de 2 espèces différentes

 Thèmes : relations interspécifiques, reproduction

Une découverte importante vient d'être publiée dans Nature sur un mode de reproduction inédit chez les fourmis : la xénoparité. Ce processus, mis en évidence par une équipe de l’université de Montpellier, bouleverse les frontières classiques entre espèces.

La xénoparité désigne la capacité pour une espèce de donner naissance à des individus d’une autre espèce. Contrairement aux hybrides, la xénoparité implique que la mère élimine complètement ses propres gènes dans la descendance « étrangère », qui est alors clonée du génome paternel d’une autre espèce. En effet, les chercheurs ont découvert que chez Messor ibericus, les reines des colonies méditerranéennes produisent non seulement des mâles de leur propre espèce, mais aussi des mâles de l’espèce Messor structor par clonage.

Des "frères" d’espèces différentes. Ces deux mâles ont été produits par la même mère, en dépit de leur différence d’espèce d’origine (gauche : mâle Messor ibericus, droite : mâle Messor structor). Source : https://www.umontpellier.fr/articles/domestication-sexuelle-ces-fourmis-qui-clonent-une-autre-espece-pour-survivre

Les chercheurs ont utilisé la morphologie (abondance des soies, brillance de la cuticule, forme du thorax, taille) et des analyses génomiques pour distinguer Messor ibericus de Messor structor. Ils ont montré que ces deux espèces ont divergé il y a environ 5 millions d’années, ce qui exclut le statut de sous-espèce. La reine de Messor ibericus, après accouplement avec un mâle Messor structor, peut produire des mâles entièrement clonés génétiquement du père structor. Seul l'ADN nucléaire du spermatozoïde est utilisé après la fécondation car l'ADN nucléaire maternel est éliminé. L'ADN mitochondrial, lui, reste maternel.

Ces mâles structor sont indispensables pour la survie de la colonie car seul l'hybridation avec ces mâles (avec une fécondation "classique" cette fois-ci) permet de produire des ouvrières. On peut ainsi interpréter la situation comme une domestication sexuelle de l'espèce M. structor par M. ibericus. Les Reines ibericus maintiennent par clonage un stock adéquat de mâles d'une autre espèce, nécessaires pour avoir des ouvrières qui sont hybrides. La Reine n'a ainsi pas besoin de se déplacer pour chercher des mâles structor. D'ailleurs, les 2 espèces vivent dans des régions en grande partie séparées (ce qui ne devait pas être le cas lorsque ce système s'est mis progressivement en place).

La xénoparité défie ainsi le modèle traditionnel d’espèce biologique fondé sur l’isolement reproductif. On peut considérer qu'il s'agit là d'un cas de "super-espèce" composé de deux espèces interconnectées. 


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