Dix ans après : les modifications épigénétiques sur plusieurs générations

 Thèmes : expression des gènes, épigénétique, chromatine

Il y a 10 ans, je vous parlais d'une étude sur la transmission sur plusieurs générations d'un caractère acquis (une situation très lamarckienne) : le stress associé aux odeurs chez la souris. Des souris mâles avaient été soumises à des chocs électriques associées à une odeur particulière (l'acétophénone). Cela avait induit les souris à présenter des indices de peur lorsqu'on leur faisait sentir de l'acétophénone même en absence de chocs électriques (phénomène de peur conditionnée). Les chercheurs avaient ensuite réalisé des fécondations in vitro avec les spermatozoïdes de ces souris mâles conditionnées et avait réimplanté les embryons dans des mères porteuses (qui n'ont jamais été en contact avec les mâles conditionnés et qui n'ont subi aucun stress particulier). Bilan : les souris de la génération N+1 étaient significativement plus sensibles que les témoins (issus de fécondation in vitro de mâles non conditionnés) à l'acétophénone ! Et ce caractère s'était même transmis à la génération suivante (les petits-enfants des mâles conditionnés). L'analyse de leur cerveau avait montré qu'ils produisaient plus de neurones avec les récepteurs qui détectent l'acétophénone. Les connexions du bulbe olfactif avec l'amygdale (qui contrôle les comportements de peur) étaient aussi plus importantes. Tout cela était corrélé à des modifications de la méthylation de l'ADN dans les régions régulatrices des gènes impliqués et ces modifications étaient maintenues sur plusieurs générations.

Depuis cette étude pionnière, de nombreuses autres études ont montré que des modifications épigénétiques acquises à une génération sont transmises aux générations suivantes. Par exemple, dans une étude publiée en 2014, des souris mâles élevées dans des conditions qui peuvent causer du diabète de type 2 ont des descendants qui sont plus intolérants au glucose et avec une résistance à l'insuline plus élevée. Des modifications de la méthylation de l'ADN ont été trouvées comme dans l'exemple précédent.


Pour avoir des effets vraiment transgénérationels, il faut que les animaux intialement impactés ne soient pas gestants et que les modifications épigénétiques se maintiennent non seulement dans la première génération (F1) mais aussi dans la deuxième (F2). Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0969996119302591


Chez les végétaux, on peut citer cette étude sur le radis qui montre que les descendants d'une plante agressée par des chenilles vont être plus réactives dans leurs mécanismes de défense lorsque des chenilles vont les attaquer à leur tour.

Ces phénomènes peuvent s'expliquer par le fait que si la gamétogénèse et la fécondation remettent en général les compteurs épigénétiques à zéro, dans certains cas, certains marqueurs épigénétiques restent en place. C'est ce qui a été démontré directement chez le nématode C. elegans pour la marque épigénétique répressive 
H3K27me3 (triple méthylation de la lysine 27 de l'histone H3).

Le principal mystère reste que les modifications épigénétiques transgénérationnelles doivent forcément affecter les gamètes. Donc les effets des odeurs dans l'étude d'il y a 10 ans ou les effets de la nourriture doivent modifier la structure chromatinienne des gamètes et la cascade des évenements qui lie le stimulus initial à la chromatine des ovocytes ou des spermatozoïdes n'est pas bien caractérisée.

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