Un modèle numérique de convection en 3D génère la tectonique des plaques !

 Thèmes : géodynamique, tectonique des plaques, manteau, modélisation

Par Philippe Sarda, Professeur à l'Université Paris-Saclay

La question de savoir si la convection mantellique génère le comportement des plaques que nous voyons en surface, ou si, au contraire, les plaques génèrent les mouvements internes, est ancienne. On pense néanmoins depuis une vingtaine d'années que la tectonique des plaques n’est que l’expression en surface de la convection profonde. 

Les géodynamiciens savent écrire les équations qui permettent de modéliser la convection et donc la géodynamique interne. Faire cela en tenant compte de tous les phénomènes, de tous les paramètres et de leurs variations, et de plus, dans une géométrie en couronne sphérique identique à la Terre est faisable. Résoudre ces équations demande des puissances de calcul colossales. 

Nicolas Coltice

C’est ce qu’a fait Nicolas Coltice, auparavant à l’ENS de Lyon, et désormais à l’ENS de Paris, avec ses étudiants. Ils ont été les premiers à arriver au bout. Les calculs prennent 9 mois ! Les résultats sont parus dans Science Advances en 2019, puis ont été popularisés dans American Scientist, et repris dans un article à Pour la Science du mois de février 2022. Ce n’est que depuis les années 2010 que, grâce au calcul massivement parallèle, une poignée de modélisateurs en géodynamique commence à pouvoir obtenir ce type de résultats. On peut citer notamment Paul Tackley, de l’École Polytechnique Fédérale de Zurich (ETH), avec qui l’équipe de Nicolas Coltice a collaboré pour les codes. 

Une des difficultés consiste à doter les roches de paramètres qui sont eux-mêmes influencés par d’autres paramètres. Par exemple, un des paramètres essentiels dans ces modélisations est la viscosité des roches, qui dépend, elle-même, de la température. On conçoit bien que la viscosité contrôle en grande partie la déformation des roches, donc les mouvements de convection et leur vitesse. Mais cet aller-retour entre viscosité et température rend les calculs plus complexes et plus longs. 

Nicolas Coltice et ses étudiants ont doté empiriquement les roches et matériaux planétaires de paramètres qui décrivent ce que l’on sait d’eux et de leurs variations. Ces modélisations n’expliquent pas nécessairement pourquoi ces paramètres varient ainsi. Mais une fois choisies leurs valeurs et leurs lois de variation, le grand succès de Coltice et de son équipe est que, sans imposer quoi que ce soit, la convection mantellique génère en surface un comportement qui ressemble fortement à ce que nous connaissons de la tectonique des plaques, avec des plaques, des dorsales, des subductions etc. Une chose y manque encore : des failles transformantes localisées, ce qui montre à quel point certains paramètres doivent être subtilement choisis. 

Rifting d'un super-continent obtenu au cours de la modélisation

Coltice et ses collègues montrent que les parties froides de plaques en subduction sont importantes car elles tirent sur le reste des plaques et génèrent de vastes cellules de convection dans le manteau. Les parties continentales reliées aux plaques en subduction peuvent alors se déplacer à des grandes vitesses de l’ordre de 10 cm/an, comme c’est le cas de l’Australie pour la Terre réelle. A l’inverse, des cellules de convection peuvent également entraîner certaines parties lithosphériques épaisses comme les cratons continentaux lorsque ceux-ci ne sont pas reliés à des plaques en subduction actives, mais à des vitesses lentes de l’ordre de 1 cm/an , comme pour le mouvement de l’Afrique actuelle. Les collisions continentales se terminent par un stade où la subduction et la rupture de la plaque en subduction génèrent un effet de succion qui accélère la collision tout en déclenchant des remontées plus chaudes. Ceci peut correspondre à la collision Inde-Asie dans la Terre réelle. Quant aux panaches, dans le modèle, ils sont trop peu visqueux pour pousser les plaques efficacement vers le haut et s’étalent sous la lithosphère.  

Une observation importante est qu’on constate dans ce modèle que les mouvements à grande échelle et la déformation locale peuvent être sans rapport et même contradictoires : par exemple, du rifting ou l’ouverture d’un bassin arrière-arc peuvent se produire dans des zones continentales en convergence. Ceci s’observe aussi dans la réalité comme dans le cas de l’ouverture de la Mer Rouge et du rift africain dans le contexte de fermeture de la Téthys.
 
Ces travaux confirment que la tectonique des plaques et la convection matellique constituent bien un système unique auto-cohérent, dans lequel la subduction, partie descendante des cellules de convection, joue un rôle essentiel.

Vous pouvez regarder le communiqué de presse du CNRS, avec des vidéos YouTube montrant les mouvements internes et externes à cette adresse : https://lejournal.cnrs.fr/articles/quest-ce-qui-fait-danser-les-continents

Vous pouvez aussi lire l’article de Nicolas Coltice dans Pour la Science du mois de février 2022. 

Article original : 
Nicolas Coltice, Laurent Husson, Claudio Faccenna, Maëlis Arnould
DOI: 10.1126/sciadv.aax4295 


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