Le séquençage complet du génome d'un Dipneuste confirme sa proximité avec les Tétrapodes et le partage de nombreuses fonctions physiologiques et développementales

 Thèmes : évolution, locomotion, respiration, gènes du développemeent

Les Dipneustes sont des Sarcoptérygiens (muscles présents dans les nageoires paires) qui respirent grâce à des poumons. Répandus du Dévonien au Trias, il en reste 6 espèces reliques réparties en Afrique (4 espèces), Australie et Amérique du Sud (chacun 1 espèce). Rappelons que les poumons sont des expansions de l'œsophage qui ont évolué plutôt en vessie natatoire chez les Actinoptérygiens (pas de muscles dans les nageoires).

Pour la première fois, la séquence intégrale du génome d'un Dipneuste a été publiée (dans Nature cette semaine). C'est le plus grand génome animal séquencé (37 gigabases, 14 fois la taille du génome humain ! Cinq gigabases de plus que le précédent record (l'axolotl)). Il appartient à Neoceratodus forsteri, le Dipneuste australien.

Neoceratodus forsteri. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Neoceratodus_forsteri#/media/Fichier:Neoceratodus_forsteri,_2014-09-19.JPG

Ce séquençage a confirmé que les Dipneustes sont plus proches évolutivement des Tétrapodes que les cœlacanthes qui font aussi partie des Sarcoptérygiens. L'ancêtre commun entre les Dipneustes et les Tétrapodes aurait vécu il y a 420 millions d'années (début du Dévonien).

D'après Figure 1 de https://www.nature.com/articles/s41586-021-03198-8

L'étude détaillée des gènes présents dans ce génome a permis de découvrir des éléments intéressants : on observe une expansion des gènes codant des composants du surfactant pulmonaire (comparé aux Actinoptérygiens) et le nombre de ces gènes est très proche de celui des Tétrapodes. Le surfactant pulmonaire est une substance tensioactive formée d'un mélange de phospholipides et de protéines qui réduit la tension superficielle air/liquide à la surface des alvéoles pulmonaires. Cela facilite l'expansion des alvéoles à l'inspiration et les maintient ouvertes pendant l’expiration. On déduit de tout cela que l'ancêtre commun des Dipneustes et des Tétrapodes possédait sans doute un surfactant pulmonaire fonctionnel, très similaire au nôtre.

Les gènes liés à l'olfaction sont aussi très nombreux et notamment ceux liés aux fonctions de l'organe voméro-nasal activé par des phéromones et impliqué par exemple dans la reproduction. On pensait que l'organe voméro-nasal n'était présent que chez les Tétrapodes. Il va falloir sans doute réviser cette assertion.

Les gènes du développement des nageoires paires du dipneuste (homologues aux membres chiridiens) ont fait évidemment l'objet d'une étude poussée. 330 enhancers ou éléments de régulations transcriptionnels ont été comparés dans les génomes d'Actinoptérygiens, du Dipneuste et de Tétrapodes.

Comparaison des enhancers impliqués dans l'expression des gènes contrôlant le développement des nageoires paires ou des membres chiridiens chez les requins (shark), les Actinoptérygiens (ray-finned fish), les Sarcoptérygiens (lobe-finned fish) et les Tétrapodes. Source : https://www.nature.com/articles/s41586-021-03198-8

Il en découle que 113 de ces enhancers sont présents chez les Actinoptérygiens, 31 de plus sont présents chez les Sarcoptérygiens et 9 de plus sont présents chez les Tétrapodes. On en déduit que l'essentiel du réseau de régulation génique des membres chiridiens est déjà présent chez les Sarcoptérygiens et que la formation des membres chiridiens n'a tenu qu'à l'ajout de 9 enhancers (et à des modifications chez quelques autres enhancers). C'est une vision sans doute réductionniste mais cela confirme la profondeur évolutive du réseau génétique qui façonne les membres chiridiens des Tétrapodes.

Les gènes Hox ont bien entendu attiré l'attention car ils contrôlent non seulement la répartition des structures le long de l'axe antéro-postérieur mais aussi, pour certains d'entre eux, la répartition des structures le long de l'axe proximo-distal des nageoires paires et des membres chiridiens. 

Pour commencer, le dipneuste possède certains gènes Hox que les Tétrapodes n'ont pas comme Hoxb10 et Hoxa14. Ces gènes ont été délétés chez les Tétrapodes par redondance fonctionnelle avec les autres gènes Hox paralogues, mais le dipneuste les a conservés.

Deuxièmement, le gène Hoxc13 qui est exprimé habituellement chez les Tétrapodes dans les cellules produisant les ongles (ou les griffes) est exprimé dans la partie terminale des nageoires chez le dipneuste (alors qu'il ne forme ni ongle, ni griffe). Cela indique que la fonction d'activation de la formation de phanères terminaux dans les membres chiridiens de Hoxc13 est une exaptation et que Hoxc13 avait sans doute préalablement une autre fonction dans les nageoires. 

Enfin, sur la régulation des gènes Hox qui sont placés dans le génome "dans l'ordre" de leur patron d'expression dans les embryons, on constate 2 points intéressants : chez les Tétrapodes, les gènes Hoxd9 à Hoxd13 exprimés dans les membres chiridiens sont très rapprochés dans le génome et sous le contrôle d'enhancers communs. Chez le dipneuste, le gène Hoxd13 se trouve isolé avec 347 kilobases de distance par rapport à Hoxd12 et l'étude de son patron d'expression montre que Hoxd13 a une expression atypique par rapport à ce qui est observé chez les Tétrapodes. En revanche les gènes Hoxd9 à Hoxd11 restent concentrés dans un domaine génomique de 25 kilobases et ont des patrons d'expression proches de ceux des Tétrapodes, démontrant une contrainte développementale de co-régulation qui a localement bridé la tendance à l'expansion génomique qui a fait que le génome du dipneuste est l'un des plus grands du règne animal.

  

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