De l'ADN séquencé sur des troncs de chêne de 10 000 ans

Pour Prépa BCPST et Prépa Agreg
Thèmes : bois, ADN, paléogénomique

En Europe, les forêts couvrent environ 1 milliard d'hectares, soit quelques 45 % de la superficie des terres émergées (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture). Comprendre l’évolution des peuplements forestiers et prédire leur devenir dans le cadre du changement climatique est un enjeu majeur. Une équipe scientifique internationale, dont des chercheurs de l’INRA et du CNRS, a isolé et séquencé avec succès de l’ADN de chêne dans des restes de bois anciens - certains datant de près de 10 000 ans. Ces résultats ont été publié début Mars, dans la revue Molecular Ecology.  
Jusqu'à présent, les études sur les peuplements végétaux anciens avaient reposé essentiellement sur l'analyse des grains de pollen.


Les différentes couches d'un tronc d'arbre. Source : https://www.pinterest.fr/pin/444237950725014173/?lp=true


Les chercheurs ont tout d’abord mis en lumière les conditions propices à la bonne conservation de l'ADN dans des restes de bois de chêne (Quercus robur (chêne pédonculé) et Quercus petraea (chêne sessile)). Ils ont montré que l’aubier - cette partie fonctionnellement active du bois qui est interne par rapport au cambium  – est plus favorable à la préservation de l’ADN végétal que les autres tissus, plus prompts à être contaminés par l’ADN des microorganismes de l’environnement. 


Quelques exemples des 167 troncs anciens datant de 500 à près de 10 000 ans qui ont été étudiés et provenant de différents environnements. Source : Wagner et al., 2018

Alors que la plupart des échantillons contiennent de l’ADN endogène en faible quantité, les morceaux de bois prélevés dans des environnements immergés et en particulier ceux provenant de sédiments lacustres calcaires présentent un contenu plus élevé en ADN. A l’inverse, les restes de bois collectés dans des environnements exposés à l’oxygène de l’air ou acides montrent un ADN de bien moindre qualité, généralement impropre à l’analyse. 

Les auteurs ont utilisé l'ADN des microorganismes contaminants comme indication du milieu dans lequel le bois collecté a séjourné : les  microorganismes unicellulaires (Archées) méthanogènes anaérobies du genre Methanosaeta sont spécifiques des milieux sédimentaires humides organiques; des Gamaprotéobactéries correspondent à des environnements maritimes, ou encore des Betaprotéobactéries et Pseudomonadales correspondent à des sols limoneux. Les échantillons affichant les taux les plus élevés d’ADN endogène abritent essentiellement des Archées anaérobies méthanogènes du genre Methanomicrobia, suggérant que les milieux appauvris voire dépourvus d’oxygène sont favorables à la survie et la multiplication de ces microorganismes et à la préservation de l’ADN ancestral en milieux immergés. 

Les scientifiques ont également fourni des indications précises sur les processus de dégradation de l’ADN au fil du temps. Ils ont ainsi montré que, très rapidement, les fragments d’ADN collectés voient leur taille diminuer et que cette diminution continue de manière linéaire au fil des siècles. Les fragments d'ADN subissent un ensemble de modifications chimiques avec chacune sa cinétique : par exemple, il y a des désaminations de cytosine dont la quantité atteint un plateau au bout de 5000 ans.

Ces travaux constituent une première mondiale, ils soulignent la valeur des bois immergés comme source d’ADN de bois anciens et ouvrent la voie à des études de paléogénomique de grande ampleur. Le séquençage de l'ADN préservé dans les bois anciens permettra d’ici peu d’accéder au génome des arbres qui survécurent aux dernières grandes glaciations et repeuplèrent ensuite l’Europe, il y a 12 000 ans environ, suite au réchauffement progressif du climat. A terme, cette approche ouvre des perspectives d’intérêt notamment pour mieux comprendre la réponse évolutive des écosystèmes forestiers face au changement climatique, et ainsi améliorer la gestion de nos forêts. 

D'après communiqué du CNRS

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