Crier famine sur plusieurs générations

 Pour CAPES et Agreg
Thèmes : (épi)génétique, métabolisme, diabète


Comme nous l'avions évoqué ici , de plus en plus de découvertes font état de modifications épigénétiques (qui modifient l'ADN par des méthylations par exemple, sans changer la séquence; ces méthylations peuvent modifier l'expression des gènes) transmises quelquefois sur plusieurs générations, et provoquées par des paramètres physiologiques ou environnementaux.
Un nouvel exemple est paru dans Science en Juillet 2014 : des chercheurs anglais ont utilisé une souche de souris capable de survivre avec une alimentation abaissée à 50% (en terme de calories) par rapport à la normale. Les chercheurs ont soumis à un tel régime des souris gestantes. Les nouveaux-nés ont eu un poids inférieur à la normale, ce qui était attendu. Plus inattendu, ces souris ont développé un diabète et une intolérance au glucose lorsque remis à une alimentation normale. Encore plus inattendu, les souris mâles de cette génération ont transmis ce caractère à leur descendance alors que ceux-ci n'ont subi aucune restriction de nourriture in utero ou après.

Cela modélise ce qu'il s'est passé durant la seconde guerre mondiale : une étude faite en Hollande avait montré que les enfants qui étaient des embryons/foetus au moment de la famine de l'hiver 1944-1945 ont développé plus souvent que la population normale diabète et obésité et que leurs enfants présentent également ce biais par rapport à la moyenne.

Pour aller plus loin dans les mécanismes chez les souris, les chercheurs ont étudié le méthylome (cartographie des séquences d'ADN méthylées) des spermatozoïdes produits par des souris issus de foetus nourris normalement ou sous-nourris et ont retrouvé 166 différences de méthylations (111 sites moins méthylés, 55 sites plus méthylés). Parmi les gènes dont l'expression est modifiée par ces (dé)méthylations se trouvent des gènes impliqués dans le métabolisme en général et celui du glucose en particulier et déjà impliqués pour quelques uns dans l'intolérance au glucose. 

Normalement, les méthylations sont "remises à zéro" lorsque les gamètes se forment mais il semble qu'une fraction de ces méthylations échappent à ce système et provoque ainsi des effets transgénérationnels.Dans le cas évoqué ici on peut imaginer un scénario adaptatif qui aurait poussé à maintenir les méthylations observées : les foetus qui ont souffert d'une famine vont avoir un métabolisme plus adapté à des apports plus faibles en calories et mieux résister à d'autres périodes de famine (cela reste à démontrer). Dans le cadre expérimental, le retour à des apports caloriques normaux va provoquer une accumulation anormale de glucides (et de lipides) menant à diabète (et obésité éventuellement) car les souris et leurs descendants sont "programmés" à vivre en période difficile et à accumuler plus qu'habituellement des réserves. Il serait intéressant de voir si après plusieurs générations d'abondance, le système revient à son état initial.


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